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Tristan’s ascension (The sound of a mountain under a waterfall) est une œuvre de Bill Viola présentée pour la première fois en 2005. Lorsque l’on évoque Tristan, on pense immédiatement au mythe médiéval. Comme tous les mythes, il a traversé les époques. Mais c’est surtout l’opéra de Richard Wagner qui, aujourd’hui encore, en est la transposition la plus connue. Et c’est sans aucun doute à cette œuvre monumentale que Bill Viola répond avec son imposante installation vidéo haute définition de 5,8 sur 1,32 mètres, couplée à un dispositif de 4 canaux audio avec subwoofer. Mais si Wagner s’intéresse aux tourments de la passion, aux affres de la trahison et de l’adultère, Bill Viola évoque le mythe dans un tout autre registre.

1. Rencontre avec le Zen : « Sculpter le temps »

L’artiste est le représentant le plus célèbre de l’art vidéo. Son parcours débute d’ailleurs en même temps que l’exaltation liée à l’expérimentation de cette technique autour de Nam June Paik d’un côté et du performance art de l’autre. Il se saisit alors de la vidéo comme d’un matériau et débute sa production artistique.

En quête de spiritualité dans les années 1970, sa rencontre avec un maître zen japonais bouleversera à jamais sa perception des choses et sa production artistique.

Le zen (méditation en Japonais) est une pratique visant à la connaissance de soi (mais aussi de son environnement). Au-delà de la méditation, elle s’applique dans la vie en se focalisant sur l’instant présent, sur l’ici et le maintenant ; dépasser le vécu pour interroger son essence. Cela nécessite de modifier sa perception du temps, pour appréhender le monde en-deçà de sa simple apparence.

La vidéo est donc, pour Bill Viola, la technique idéale pour « sculpter le temps », selon sa propre expression. Il décide d’en faire la matière première de son travail, le ralentit, l’étire jusqu’à presque l’immobiliser. Il crée ainsi des tableaux en mouvement plutôt que des vidéos.

2. L’artiste et la métaphysique

A travers ses œuvres, il nous invite à le suivre et à expérimenter avec lui le zen et sa dimension mystique. Dans un cheminement émotionnel et spirituel, il explore des thèmes métaphysiques par l’intermédiaire de sujets récurrent comme la vie et la mort, l’eau, le feu…

L’eau est quasi omniprésente dans l’œuvre de Bill Viola. Âgé de 6 ans, il a failli se noyer dans un lac. Il garde de cette expérience « la sensation extrême de vie, de mort, de temps suspendu, la beauté absolue du vide […] ressentie sous l’eau. Je n’ai eu aucune peur, juste la vision d’un espace autre ».

3. Un corps qui s’élève

Tristan’s Ascension est volontairement installée dans une obscurité qui incite au recueillement. L’artiste nous soustrait au monde extérieur et à sa frénésie, contraint nos sens et nous incite à nous raccrocher à notre vie intérieure. Soudain, par ses dimensions, l’image occupant tout l’espace nous happe.

Là, un homme vêtu de blanc est allongé, inanimé, dans le noir. Tout à coup, on distingue des gouttes d’eau. L’artiste se joue de notre rationalité : elles ne tombent pas mais s’élèvent. Puis les gouttes deviennent pluie, torrent, cascade. La puissance de l’eau finit pas entraîner le corps, qui s’élève avec elle dans une ascension lente, pour disparaître. Le débit de l’eau ralentit pour s’arrêter et nous laisser face à un espace calme et totalement vide.

4. Une émotion intense pour le spectateur

Il s’est passé peu de choses. Mais ce peu, distendu par un ralenti décomposant le temps provoque une émotion puissante, primale. L’artiste nous a fait vivre intensément l’instant, une « odyssée sensorielle » selon ses termes, une expérience zen. Notre esprit s’ouvre à des questions mystiques : l’eau, la vie, la mort… L’ascension de Tristan. Va-t-il au Valhalla ? La vie après la mort : renaissance, réincarnation, fin ? Presque malgré nous, Bill Viola nous entraîne dans son cheminement mystique.

Il nous a extrait de toutes les préoccupations que l’on avait avant d’être confronté à son travail. Il nous impose une pause, un moment intérieur. Bill Viola nous dépouille et nous libère des contraintes du temps, toujours compté dans nos sociétés fébriles, avides du lendemain. Ses « promenades émotionnelles » nous plongent en apnée du monde extérieur. Il nous propose une plongée dans notre humanité et nous interroge sur notre finitude. L’expérience est intense.