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Analyser une peinture n’est pas chose aisée. Bien sûr, on trouve aujourd’hui facilement des analyses qui permettent de comprendre les œuvres, du moins pour les plus connues. Cependant, il peut être frustrant d’avoir systématiquement recours à cette médiation qui semble s’interposer entre nous et l’œuvre. On peut même avoir le sentiment que notre rencontre avec la peinture serait plus forte si nous étions capable de la lire, l’analyser, la comprendre ou l’interpréter par nous-mêmes. Accéder à cette lecture autonome n’est pas impossible. Cela demande simplement un peu de méthode et d’entraînement. Cet article vous donnera quelques clés de compréhension de l’art pictural. Il est composé d’extraits de mon livre, Découvrir la peinture, qui pourra, si vous le souhaitez, vous permettre d’approfondir ce sujet.

Découvrir la peinture

identité, sujets, composition, couleurs

Dans ce livre numérique, je vous présente des clés pour lire et comprendre les œuvres picturales par vous-mêmes.

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e-book consacré aux outils d'analyse de la peinture

1. Approcher l’œuvre

Exploiter les informations fournies par le cartel

Nous pouvons totalement nous méprendre sur le sens d’une image, car nous la regardons toujours par le biais de notre contexte socioculturel. Il est donc indispensable de disposer d’une courte notice pour nous permettre d’identifier ce que nous observons. Dans le domaine artistique, c’est la fonction du cartel.

On y trouve le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, la date de réalisation, la technique utilisée, le type de support, les dimensions et le lieu de conservation.

Jérôme Bosch, Triptyque de l’Adoration des Mages (volets intérieurs),
ca. 1494, huile sur panneau de chêne, 138 x140 cm, Museo Nacional del Prado, Madrid, Espagne

Le titre de cette peinture de Jérôme Bosch est un titre de convention, car l’œuvre est très antérieure au XVIIIe siècle. Par une périphrase, il indique qu’il s’agit de l’Épiphanie. Il s’agit d’un triptyque. Nous voyons des charnières reliant les différents panneaux. Il s’agit donc d’un retable. La notice précise que nous voyons l’intérieur de ce retable. Il est donc ouvert. En revanche, le titre n’indique rien des peintures qui pourraient se trouver sur les panneaux extérieurs. La reproduction ne nous permet pas de les voir. La date est précédée de la mention « ca. ». Cela indique que la datation de la peinture est aujourd’hui incertaine. L’artiste a utilisé la technique de la peinture à l’huile, appliquée sur du bois de chêne. Les dimensions sont assez importantes, sans doute parce que l’œuvre, initialement destinée à une église devait pouvoir être observée de loin, par les fidèles.

Expliquer le choix des dimensions et du format

Les dimensions sont avant tout liées à la destination de l’œuvre. Une peinture réalisée pour un espace monumental (église ou palais par exemple) aura des dimensions importantes pour être visible et compréhensible de loin, attirer l’œil, impressionner le visiteur, ne pas paraître sous-dimensionnée sur un mur imposant…

A contrario, une peinture réalisée pour un particulier aura des dimensions plus réduites car elle sera destinée à être placée dans un espace plus restreint, donc à être vue de plus près et par un faible nombre de spectateurs.

Orazio Gentileschi, Le Baptême du Christ, 1607, huile sur toile, 300 x 241 cm, Chiesa di Santa Maria della Pace, Rome, Italie

Orazio Gentileschi, Le Baptême du Christ, 1607, huile sur toile, 300 x 241 cm, Chiesa di Santa Maria della Pace, Rome, Italie

Le format, en revanche, questionne le rapport entre ces dimensions. Il relève davantage de l’intention de l’artiste, ce qu’il veut exprimer et la manière dont il souhaite le faire.

On note que la peinture de Gentileschi est de très grande dimension et qu’elle est placée dans une église. On peut en déduire qu’il s’agit d’une peinture monumentale.

Elle est au format portrait. Elle a sans doute été réalisée spécifiquement pour l’espace qu’elle occupe, dans la mesure où sa partie supérieure est cintrée.

Comme le cartel n’indique pas qu’il s’agit d’un retable, on peut supposer que cette toile est placée sous une voûte.

L’utilisation du format portrait appuie le symbolisme de la représentation. Jésus, baptisé par saint Jean-Baptiste est sur terre. Le sacrement se déroule sous les auspices de Dieu, positionné dans le monde céleste. La partie haute, cintrée, peut également évoquer la voûte céleste.

Support, matière et technique

Le support est ce sur quoi est appliquée la couche de peinture. Sa mention est systématique dans les cartels, complétée par la technique utilisée.

Il existe un lien entre matière, technique et support. En effet, toutes les techniques ne conviennent pas à tous les supports, pour des raisons simples : il faut que la matière picturale adhère au support sur lequel elle est appliquée, mais aussi qu’elle résiste dans la durée.

Hendrik Goltzius, La Chute de l’Homme, 1616, huile sur toile,
104,5 x 138,4cm, National Gallery of Art, Washington D.C., USA

Le nom de l’artiste laisse supposer qu’il est originaire du Nord de l’Europe (aire culturelle néerlandaise).

Le titre a sûrement été donné a posteriori, comme beaucoup d’œuvres antérieures au XVIIIe siècle. La représentation d’un homme et d’une femme nus, sexe caché par du feuillage, tenant une pomme et aux côtés d’un serpent (ici à tête de femme) renvoie à l’iconographie traditionnelle du péché originel. La chute évoque donc le moment où Adam et Ève cèdent aux sollicitations du serpent en consommant la pomme. Il s’agit d’un sujet religieux, qui nécessite un minimum de connaissances des textes bibliques pour être apprécié.

La date de réalisation indique que la peinture a été réalisée dans une période encore troublée par les guerres de religions (la Guerre de Trente ans débute en 1618).

L’artiste a choisi de s’exprimer sur une toile, à l’aide de la technique de la peinture à l’huile. Il s’inscrit donc dans la mouvance de son temps : l’utilisation de la toile préférée à celle du bois. Il a adopté un format paysage. Ce choix est original, dans la mesure où cette scène est habituellement représentée à l’aide du format portrait.

Les dimensions ne sont pas trop importantes. Elles laissent plutôt supposer que la toile était destinée à un particulier. Le lieu de conservation de l’œuvre ne permet pas de le savoir, puisque la peinture est placée dans un musée.

2. Identifier le sujet

Dès l’Antiquité, des auteurs comme Pline l’Ancien (Histoire naturelle, livre XXXV) ou Horace (Art poétique) distinguent des genres picturaux. Leur redécouverte par les érudits de la Renaissance permet, dès le XVIe siècle, de catégoriser la production picturale dont la variété s’accroît depuis le XIVe siècle. Cette classification a une vocation uniquement descriptive et pratique pour les premiers théoriciens et critiques d’art.

La théorie de la hiérarchie des genres

En 1667, l’académicien français André Félibien, convaincu comme Aristote qu’une œuvre au contenu moral a plus de valeur, développe la théorie de la hiérarchie des genres. Lors d’une conférence à l’Académie royale de peinture et de sculpture, il déclare :

Celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d'un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ; et comme la figure de l'homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la Terre, il est certain aussi que celui qui se rend l'imitateur de Dieu en peignant des figures humaines, est beaucoup plus excellent que tous les autres [...] un peintre qui ne fait que des portraits, n'a pas encore cette haute perfection de l'Art, et ne peut prétendre à l'honneur que reçoivent les plus savants. Il faut pour cela passer d'une seule figure à la représentation de plusieurs ensembles ; il faut traiter l'histoire et la fable ; il faut représenter de grandes actions comme les historiens, ou des sujets agréables comme les Poètes ; et montant encore plus haut, il faut par des compositions allégoriques, savoir couvrir sous le voile de la fable les vertus des grands hommes, et les mystères les plus relevés.

André FélibienConférence à l’Académie royale de peinture et de sculpture, 1667

Cette gradation, non exempte d’intérêts politiques, essaime à travers l’Europe et devient un véritable carcan pour les artistes. Seuls les peintres d’histoire, à condition d’être reconnus par les membres de l’Académie, peuvent espérer enseigner. Les peintres de paysage et de nature morte, déconsidérés, sont traités comme des « ouvriers de la peinture ».

Mais, rapidement, ce type de classification a montré ses limites. L’évolution des goûts, donc des sujets, obligea l’Académie à créer de nouvelles catégories. Certains artistes de l’Académie, assignés à un genre précis, se sont eux-mêmes affranchis des règles. Jacques-Louis David par exemple, peintre d’Histoire, a réalisé de nombreux portraits. D’autres peintres, dans le but de dévoyer cette radicalité, ont intégré des figures à leurs paysages pour en faire des peintures d’Histoire.

A partir du milieu du XIXe siècle, les peintres exclus des salons officiels affirment leur indépendance en créant leurs propres événements, comme le Salon des refusés en 1863. L’apparition de l’abstraction et des avant-gardes artistiques au début du XXe siècle achève l’académisme pictural.

La peinture d’histoire

Jérôme Bosch, Triptyque de l'Adoration des Mages (volets intérieurs), ca. 1494, huile sur panneau de chêne, 138 x140 cm, Museo Nacional del Prado, Madrid, Espagne
Balthazar
Gaspard
Donateur
Melchior
étoile
Vierge à l’Enfant
Offrande
Donatrice
Offrande

Ce triptyque de Jérôme Bosch est un exemple du Grand genre, c’est-à-dire une peinture d’Histoire.

Le titre (de convention) de l’œuvre nous renseigne sur le sujet du tableau : l’Épiphanie. Il s’agit donc du jour où les rois mages, guidés par une étoile, sont venus révérer Jésus. Cependant, les contemporains de l’artiste ne disposaient pas de ce titre. La représentation devait donc fournir des indices de compréhension.

Jérôme Bosch a donc représenté les éléments fondamentaux (dans un contexte culturel chrétien occidental) d’une peinture à caractère religieux : une femme à l’attitude hiératique, assise et tenant un enfant sur ses genoux ; des personnages agenouillés et en prière, tournés vers les figures saintes.

Le sujet de l’Épiphanie fait appel à un corpus de motifs picturaux spécifiques : une étoile visible en plein jour, scintillant dans le ciel ; un homme noir arborant une tenue exotique, Balthazar, incarnant l’Afrique ; un homme à la peau brun-rouge, Gaspard, incarnant l’Asie ;des offrandes précieuses déposées aux pieds de Marie et Jésus.

Jérôme Bosch inscrit cette scène conventionnelle dans un décor imprégné de son univers pictural personnel. Des personnages à l’allure inquiétante sont à demi dissimulés dans la grange. Ils annoncent les dangers à venir, notamment le Massacre des Innocents, mais aussi la condamnation de Jésus par le sanhédrin (assemblée législative juive). L’arrière-plan représente une vision chimérique de la ville de Jérusalem, futur théâtre de la Passion du Christ, mais aussi de la naissance du christianisme.

La scène de genre

Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau, 1636-1640, huile sur toile, 106 x 146 cm, Musée du Louvre, Paris, France

Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau, 1636-1640, huile sur toile, 106 x 146 cm, Musée du Louvre, Paris, France

L’artiste représente un très jeune homme, jouant aux cartes avec deux individus. On ressent immédiatement une tension. La servante semble suspendre son geste, alors que la femme attablée regarde discrètement vers le joueur de gauche. Ce dernier profite du fait que le jeune homme soit concentré sur ses cartes, pour saisir un as de de sa ceinture : il triche. Nous sommes donc face à une scène de genre à vocation moralisatrice ; l’artiste met en garde la jeunesse inexpérimentée face aux personnes mal intentionnées.

Adriaen Brouwer, La Gorgée amère, c. 1636-1638, huile sur bois, 47,3 x 35,5 cm, Städelsches Kunstinstitut, Francfort-sur-le-Main, Allemagne

Adriaen Brouwer, La Gorgée amère, c. 1636-1638, huile sur bois, 47,3 x 35,5 cm, Städelsches Kunstinstitut, Francfort-sur-le-Main, Allemagne

Un homme grimace après avoir goûté le breuvage versé dans la coupelle. Sa mimique dégoûtée prête à rire. Le sujet est typique de la culture flamande.

C’est une trogne (mot repris du Flamand tronje). Ce type de scène de genre prend souvent les caractères d’un portrait, à la différence qu’il présente un personnage anonyme, aux traits grossiers ou avec une expression faciale ridicule, stéréotypée, archétypale. À son allure (mal rasé, cheveux décoiffés, vêtements quelconques à l’aspect défraîchi), on devine un homme du peuple.

La bourgeoisie flamande raffolait de ce type de représentation. Elle constituait une peinture divertissante lui permettant de se moquer du peuple, tout en la rassurant sur sa bonne éducation, réelle ou supposée.

La peinture de paysage

Pierre Patel, Paysage avec ruines à droite, 1676, huile sur bois, 34 x 53 cm, Muséedes Beaux-arts, Orléans, France

Pierre Patel, Paysage avec ruines à droite, 1676, huile sur bois, 34 x 53 cm, Musée
des Beaux-arts, Orléans, France

Cette peinture est un exemple de paysage dit « héroïque ».

Il présente, sur la droite, des ruines évoquant l’Antiquité. La présence des personnages peut sembler anecdotique. Leur rôle est cependant de donner une idée des dimensions du paysage et du monument.

Le sujet de l’artiste est un paysage, mais il y intègre des figures et une architecture, brouillant ainsi la hiérarchie des genres dictée par l’Académie royale de peinture et de sculpture française.

Philippe de Champaigne, Vanité, c. 1671, huile sur bois, 28,4 x 37,4 cm, Musée de Tessé, Le Mans, France

Philippe de Champaigne, Vanité, c. 1671, huile sur bois, 28,4 x 37,4 cm, Musée de Tessé, Le Mans, France

La nature morte : l’exemple de la vanité

Cette peinture est un archétype de la vanité.

Un crâne est placé au centre. Il n’est pas blanc, pour indiquer que même notre squelette se dégradera.

Sur la droite, nous voyons un sablier, symbole du temps qui passe. Enfin, sur la gauche l’artiste a représenté une tulipe, symbolisant le caractère éphémère et fragile de la vie.

L’eau du vase participe aussi de cette symbolique, puisqu’elle finira par s’évaporer.

3. La composition

Reprenons, tout d’abord, l’exemple du péché originel.

Nous le constatons, ces deux œuvres traitent du même sujet. Mais, dès le premier regard, il est évident que les peintures sont très différentes. En les observant, nous n’avons pas les mêmes impressions, émotions ou sensations. Nous pouvons en déduire que le sujet n’induit pas une représentation prédéterminée. D’autres facteurs entrent en compte.

Les deux peintres, bien sûr, sont différents, leurs époques d’activité également. Rappelons-nous que jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les artistes travaillent essentiellement sur commande. Ils ne choisissent généralement pas leurs sujets.

L’artiste a donc une liberté toute relative. Pour se distinguer de ses pairs et produire un tableau singulier, il doit utiliser tous les moyens que lui laissent les différentes contraintes qui lui sont imposées.

Edvard Munch, Métabolisme, 1898-1899, huile sur toile, 175 x 143 cm, Munchmuseet, Oslo, Norvège

Edvard Munch, Métabolisme, 1898-1899, huile sur toile, 175 x 143 cm, Munchmuseet, Oslo, Norvège

À l’intérieur de l’espace dont il dispose pour s’exprimer, imposé comme choisi, le peintre est immédiatement face à une première interrogation : quels éléments retenir pour représenter le sujet et le rendre compréhensible pour le spectateur ? Le sujet, lui-même, induit l’adoption de certains composants, se référant à la culture, réelle ou supposée, du spectateur, mais également à des conventions sociales.

Pour le péché originel, par exemple, les éléments fondamentaux du sujet sont indiqués par le texte biblique : un arbre et son fruit , une femme, un homme, un serpent.

L’artiste, jusqu’à une période récente, était, sous peine de scandale voire de censure, soumis à la double obligation de représenter Adam et Ève nus, tout en cachant ce qu’il était convenu d’appeler « les parties honteuses ». Bienséance même dans la terminologie, pudibonderie ou encore hypocrisie sociale, suivant la philosophie de chacun, les artistes se sont affranchis de ces conventions au cours du XXe siècle.

Edvard Munch, par exemple, propose une lecture insolite de cet événement biblique. Il s’attache aux conséquences tragiques du Péché originel : l’Homme devient mortel.

L’artiste doit aussi s’interroger sur le ton qu’il doit donner à sa peinture. Quelles réflexions, émotions ou sensations doit procurer l’œuvre ? Il ne peindra évidemment pas de la même manière s’il veut susciter la joie, la tristesse, la ferveur, la peur… Là encore, le sujet donne nécessairement une orientation sur l’ambiance à imprimer à la figuration. Mais le peintre, par ses choix, peut engendrer des résultats nuancés.

À travers nos exemples du péché originel, nous voyons que le couple Adam et Ève de Jan Gossaert, les yeux baissés, affiche une mine déconvenue, attristée par leur erreur et toute empreinte de repentir. Hendrik Goltzius propose un couple complice, les yeux dans les yeux et en proie à un certain désir.

Les éléments signifiants du sujet retenus, le peintre doit ensuite se demander comment les répartir sur le champ de représentation, c’est-à-dire à l’intérieur de l’espace dont il dispose. C’est là qu’intervient de travail de composition.

Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau, 1636-1640, huile sur toile, 106 x 146 cm, Musée du Louvre, Paris, France

Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau, 1636-1640, huile sur toile, 106 x 146 cm, Musée du Louvre, Paris, France

Traditionnellement, les peintres se sont attachés à circonscrire l’ensemble d’une scène dans l’espace du tableau, créant, en quelque sorte, un monde clos. C’est ce que l’on nomme une composition fermée. Le Tricheur à l’as de carreau, de Georges de La Tour est un exemple de ce type de composition. Tous les personnages tiennent dans le champ de la représentation. Pour accentuer son effet, le peintre a même représenté les deux hommes dos au bord du tableau pour retenir le regard du spectateur à l’intérieur des limites de l’œuvre.

Il existe, a contrario, des compositions ouvertes. Cela s’impose évidemment dans la peinture de paysage, puisqu’il est impossible d’en définir des limites.

L’artiste compose également son œuvre en proposant un sens de lecture. Il est  traditionnellement conditionné par notre écriture. En Occident, que notre alphabet soit d’origine romane ou grecque, nous écrivons et lisons de la gauche vers la droite et du haut vers le bas.

Georges de La Tour observe cette convention. Le tricheur est placé à gauche du tableau, mais tourné vers la droite. Il esquisse un mouvement dans ce sens, qui accompagne la direction de son regard. Cela conduit le spectateur dans le tableau, de la gauche vers la droite.

Les axes sont des lignes induites par le format même du champ de représentation. Il s’agit :

  • des axes de symétrie, coupant en deux parties égales, la hauteur ou la largueur du support ;
  • des diagonales, reliant les angles opposés du support.

Ils servent à définir le centre géométrique du cadre pictural. Instinctivement, l’œil le cherchera. Il peut donc servir à l’artiste pour structurer sa représentation.

L’artiste peut parfois s’appuyer sur l’axe central du format. C’est évident dans Le Mariage de la Vierge du Pérugin, où le prêtre est situé sur l’axe central, à partir duquel, en arrière-plan se déploie le bâtiment de manière totalement symétrique, mais aussi les personnages Marie et Joseph. Enfin, la symétrie est totale puisque, de chaque côté un personnage tourne le dos au spectateur et ferme la scène.

Nous pouvons observer qu’une composition s’appuyant sur un axe vertical peut apporter un côté empesé ou statique à l’œuvre par sa rigueur axiale. À titre de comparaison, nous pouvons juxtaposer le même sujet traité par Raphaël, encore élève du Pérugin, peint exactement à la même époque.

La composition de Raphaël semble moins statique. Si le prêtre reste au centre, la position penchée de sa tête rompt avec la rigueur axiale. Enfin, les personnages ne sont pas alignés en frise, mais forment une légère courbe, rappelant le cintrage du haut de l’œuvre, ainsi que du toit du bâtiment. Enfin, le clocheton du bâtiment semble sortir du cadre, ce qui crée un dynamisme.

Suivant leurs sujets, les artistes peuvent diviser leur espace pictural en tiers, horizontaux ou verticaux. Cette option a été retenue par Georges de La Tour pour Le Tricheur à l’as de carreau, car il renforce son propos. Le tricheur et ses complices ont une proximité physique formant un « bloc » qui occupe les deux tiers de l’espace pictural. Le jeune homme n’occupe donc qu’un tiers de la surface de la toile. Ce choix permet au peintre de renforcer visuellement l’idée que ce dernier est acculé dans un piège.

4. La couleur

La touche est la trace de couleur laissée sur le support en fonction de la manière dont l’artiste manie son pinceau. Elle dépend donc de l’outil employé (pinceau, brosse, couteau à peindre…), mais également de l’intention du peintre.

Certains artistes ont particulièrement joué avec l’épaisseur de la touche. C’est ce que l’on nomme l’empâtement. Il leur a servi à accentuer la vibration de la couleur, mais également à créer un certain relief. De fait, les ombres ne sont plus uniquement apportées par le contraste de matières colorées, mais également par la lumière externe au tableau. La perception du spectateur peut donc varier suivant sa position par rapport à l’œuvre.

Rembrandt a beaucoup utilisé ce procédé, notamment dans ses autoportraits. Ces derniers avaient essentiellement pour but d’expérimenter de nouvelles techniques picturales et de travailler les couleurs. Son dernier autoportrait illustre bien cette recherche permanente.

Sous son œil droit, on voit clairement la touche grasse, empâtée. Elle mélange plusieurs tons de rouge et de brun. Sa forme dessine la paupière. Le relief qu’elle crée dépasse l’espace de la toile et prend l’aspect d’une peau, gonflée, marquée par l’âge et certains excès. Des cernes sont palpables sous les yeux. Les petites touches carminées sur le nez indiquent une couperose. Rembrandt se sert donc de la couleur et de l’empâtement pour se montrer tel qu’il est, sans chercher à se mettre en valeur. Son intention est de rendre son portrait le plus réaliste possible, les couleurs et l’épaisseur de la touche cherchant à reproduire les imperfections de la chair.

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