Le tympan de l’abbatiale de Vézelay est considéré comme l’un des chefs d’œuvre de l’art roman, non seulement par la finesse de sa réalisation et la richesse de son décor, mais aussi pour le sujet qu’il représente. L’église dont il fait partie est classée au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO depuis 1979. Par ailleurs, l’analyse de ce tympan permet de découvrir un mythe fondateur du christianisme : la Pentecôte.
1. Un élément symbolique de l’architecture chrétienne
Le tympan dans l’architecture
Un tympan, en architecture, est un espace de forme triangulaire compris entre les corniches rampantes (archivolte) et la corniche horizontale (linteau) d’un fronton. Il se trouve en général au-dessus d’une porte.
L’église de Vézelay en compte plusieurs, parce qu’elle dispose de 2 façades. D’ailleurs les églises romanes disposaient souvent d’une double entrée. Il y avait en effet une façade extérieure, visible de tous. Mais on trouvait aussi une façade intérieure, donnant accès à l’église elle-même. L’espace situé entre ces 2 façades s’appelle le narthex ou avant-nef. Il matérialise la coupure entre le monde profane et le monde sacré. D’ailleurs, certains fidèles y sont cantonnés pendant les célébrations, notamment ceux qui ne sont pas baptisés, les possédés ou encore les membres non convertis d’autres religions.
Chaque façade dispose d’un portail central, surmonté d’un tympan. Celui de la façade extérieur a été reconstruit au XIXème siècle par Viollet-le-Duc. Celui de la façade intérieure est médiéval. Réalisé entre 1120 et 1140, il est large de 9 mètres pour une hauteur de 5,25 mètres. Il est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la sculpture romane.
Le tympan roman de Vézelay
Le travail est réalisé en haut-relief. C’est à dire que la pierre est plus creusée pour faire apparaître le sujet que dans le cas d’un bas-relief. Certains éléments sont même quasiment en ronde-bosse : la pierre est ajourée jusque derrière le sujet afin de le faire ressortir davantage.
Le tympan se compose d’une partie centrale, elle-même décomposée en deux registres, entourée par une voussure sculptée d’un calendrier.
2. Composition du tympan
Un premier registre équivoque
La scène principale du tympan a une composition en éventail. Son sujet est original, au sens où il est unique dans la sculpture romane. La représentation semble associer les thèmes de l’Ascension et de la Pentecôte. Il faut noter que ces deux fêtes chrétiennes importantes ne sont distantes que de 10 jours.
Un personnage central
Le Christ occupe toute la hauteur du tympan et semble s’élever, sa tête interrompant l’arc du second registre et montant jusqu’à la voussure. Sa silhouette allongée, ainsi que les plis de son vêtement comme agité par le vent, multiplient les lignes obliques et verticales, augmentent l’impression de cette ascension. La fête chrétienne du même nom, toujours célébrée 40 jours après Pâques, commémore la dernière rencontre du Christ avec ses disciples et son rappel au côté de Dieu.
Pourtant, le tympan montre le Christ dans une mandorle, cette figure ovale en forme d’amande qui entoure des personnages sacrés. Ce symbole indique généralement que celle-ci est déjà arrivée aux cieux. On parlera donc ici de Christ en gloire. C’est pourquoi la lecture privilégiée est celle de la Pentecôte. Cette fête a lieu 50 jours après Pâques et nous rappelle la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres. Cette hypothèse de lecture est renforcée par la présence des rayons émanant des mains du Christ en direction des apôtres, bien que la représentation classique soit plutôt une flamme avec un colombe.
Le Christ a les bras ouverts, rappelant la Croix. De ce geste, il fait don du Saint-Esprit représenté sous forme d’éclairs à ses 12 disciples. Ainsi, ils deviennent des apôtres, c’est à dire chargés de propager son message. C’est aussi la fondation de l’Église qui est évoquée ici, avec la présence de Saint-Pierre à droite du Christ et Saint-Paul à ses pieds, dépassant du linteau. Ils portent tous deux une clé, les identifiant comme les fondateurs de l’Église, que l’on retrouve derrière le Christ.
Autour du Christ
La présence du Christ coupe le tympan en deux parties.
Au Moyen Âge, gauche se dit « sinistre » et droite « dextre ». Dans les représentations religieuses, la gauche évoque les malheurs, la peine ou le mal en général. Le terme sinistre a d’ailleurs aujourd’hui intégré cette connotation. La droite évoque le bien, la justice, la vertu : le Christ bénit de la main droite, on est assis à la droite du Christ.
Sur le tympan, à la gauche du Christ (donc à droite pour le spectateur), on voit 2 groupes de 3 apôtres sous un ciel orageux, tenant des livres fermés. Cette scène est curieuse, car en décalage avec le thème général du tympan. On notera que leurs têtes manquent : elles ont été martelées durant la Révolution Française. Aussi, les interprétations divergent. Pour certains, il s’agit d’un rappel de ce qui attend ceux qui ne croient pas dans le Christ : la damnation lors du Jugement Dernier (visible d’ailleurs à la gauche du Christ sur le portail du narthex). D’autres pensent il s’agit d’une évocation du pouvoir que le Christ confère aux apôtres : celui de pardonner les péchés. C’est l’hypothèse la plus probable selon les spécialistes. Une dernière interprétation suggère qu’il pourrait s’agir d’une clôture symbolique de l’Ancien Testament, remplacé par le Nouveau Testament.
A la droite du Christ, on trouve également 2 groupes de 3 apôtres. Mais ils sont sous un ciel plus clément, tiennent des livres ouverts (en dehors de Saint-Pierre) et regardent dans des directions multiples. Ils s’adressent aux peuples, représentés dans le second registre du tympan.
Les peuples de la terre
Ils figurent dans des compartiment autour du Christ. Les scènes sculptées insistent sur les bienfaits de l’évangélisation et les bénéfices que l’on peut en tirer.
Caisson 1
Au travers de la représentation d’un auteur et de son scribe, l’idée est de montrer l’importance de lire les écritures, de les commenter et de les transmettre. La scène est aujourd’hui peu lisible, mais on distingue sur la gauche le scribe, une plume à la main et à droite l’exégète ou le prêcheur une main levée, un livre ouvert sur les genoux.
Caisson 2
Jéroboam et le messager. Ce roi juif a été puni par dieu, en raison de son refus de stopper les sacrifices. Il perd la main droite, servant à juger et ordonner. Cette scène se situe au moment où Jéroboam est face à un messager de dieu, disposé à lui rendre sa main s’il obtempère. Ce caisson aborde plusieurs sujets en une seule représentation : la conversion du peuple juif au christianisme, mais aussi les guérisons miraculeuses accomplies par les apôtres durant l’évangélisation.
Caisson 3
Il représente des possédés. Un homme et une femme sont face à un démon, ce qui symbolise leur possession. L’homme fait face au diable et semble dialoguer, en tournant le dos au Christ. Au Moyen-Âge, chacun comprend que cet homme ne se repent pas. La femme, en revanche, est tournée vers le Christ. De plus, elle s’ôte une épine du pied, ce qui signifie à cette époque, qu’elle renonce à son péché. Il s’agit ici de celui de la luxure. En effet, le couple partage le même drap.
Les peuples exotiques sont ceux qui, n’ayant pas encore reçu la parole du Christ, sont difformes parce qu’ignorants : les Cynocéphales (peuple à tête de chien) et Éthiopiens à museau de cochon (représentation naïve du nez épaté). Notons que ces peuples ne surgissent pas des croyances médiévales. Ils sont décrits par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, ce qui indique que le clergé lisait encore cet auteur au XIIe siècle.
La voussure, calendrier pour tous
Le calendrier est un sujet souvent représenté dans l’art roman. Il se trouve sur des piliers, ou encore dans des déambulatoires comme à Saint-Philibert de Tournus. Mais il est le plus souvent présent au-dessus des portails. Sa forme en arc de cercle rappelle la course du soleil, à l’instar des cadrans solaires. Le calendrier tourne autour de la représentation du Christ, maître du temps, de l’espace et de leurs cycles.
Il se lit de gauche à droite, commence en janvier et s’achève en décembre. Le cycle cosmique est symbolisé par les 12 signes du zodiaque. Ils côtoient l’évocation de l’activité agricole dominante de chacun des 12 mois de l’année. Chacun pouvait donc et peut encore s’y référer, pour savoir quels travaux étaient à accomplir ou encore savoir si les jours rallongent ou raccourcissent, etc.
3. Le vocabulaire artistique
Notons que le nombre 12 est très présent dans cette représentation : 12 mois, 12 signes, 12 apôtres. Plus exactement, le tympan présente les apôtres en 4 groupes de 3 individus. 3 est aussi le nombre de mois constituant une saison, qui sont au nombre de 4 dans une année. Il ne faut en tirer aucune conclusion. Mais c’est un indice du mode de pensée médiéval : un monde peuplé de symboles et de signes, magique et surnaturel. Il ne peut en être alors autrement : dieu gouverne le monde et sa puissance se manifeste partout, sous les formes les plus variées.
Ces symboles ont aussi un rôle pédagogique. A une époque où seule une minorité de gens sait lire et où les livres sont rares (l’imprimerie n’a pas encore été inventée), il est important d’éduquer le peuple à l’aide d’images, de représentations, de lui expliquer leurs messages et significations. Ce rôle est alors joué par l’Église, qui fait de ses églises des bibles de pierre. Mais elle oriente la pensée et la conception du monde par les fidèles vers une éducation mystique.
Aussi, toutes les représentations sont symboles, paraboles ou hyperboles. Chaque élément du programme décoratif répond à un autre, formant un univers complet. C’est une représentation du monde divin.