Bien que les termes « histoire » et « art » donnent une idée de la nature de la discipline, pour beaucoup le concept d’Histoire de l’art est parfois insaisissable, en raison du contour un peu flou de son périmètre. L’introduction de l’expression « Histoire des arts » dans le domaine de l’éducation primaire et secondaire a accentué la confusion dans l’esprit des gens. À tel point que certains finissent par considérer ces disciplines comme inutiles, voire totalement inconsistantes. L’interrogation est légitime. Quelle différence y a-t-il entre histoire DE l’art et histoire DES arts ?
En dehors de la presse spécialisée (art, éducation, pédagogie), les médias n’ont pas réellement joué leur rôle pour éclairer le public sur ces disciplines, les définir et, éventuellement, les différencier. Il est donc nécessaire de faire un réel effort de définition de ces concepts abstraits, avant même de s’interroger sur leur domaine d’étude et leur utilité.
1. Un problème de définition
Histoire des arts ou Histoire de l’art, les deux expressions contiennent les mêmes mots-clés.
Histoire et histoire
La notion d’histoire revêt en elle-même une ambivalence.
D’une part, c’est une succession de faits dans le temps. C’est un phénomène linéaire, à sens unique, qui produit une situation à un instant donné.
D’autre part, en tant que discipline scientifique, l’Histoire a deux principaux buts. Le premier est de connaître et de mémoriser les faits, c’est-à-dire des données observables, traitées objectivement. Le second a pour ambition de sélectionner puis relier les faits en fonction de leurs causes et conséquences, afin de comprendre comment et pourquoi un groupe d’individus (tribu, région, pays, culture ou société) a évolué vers une situation donnée.
Par exemple, un fait objectif est que le 14 juillet 1789, à Paris, le peuple prend d’assaut la Bastille. Le travail de l’historien consistera à reconnaître l’existence de ce fait en recherchant tous les documents attestant de sa réelle existence (presse, correspondance privée). Ensuite, il cherchera les causes de cet évènement dans les faits qui lui sont antérieurs et les conséquences dans les faits qui lui sont postérieurs.
Art
Définir ce qu’est l’art, est un exercice utopique. Cette question fait débat depuis l’Antiquité et n’a toujours pas produit de consensus. La conception de ce qu’est l’art diffère selon les cultures, les sociétés. De plus, la notion fluctue dans le temps. La culture dite occidentale n’y échappe pas. Notre conception actuelle des arts ne s’amorce qu’au XVIIe siècle. Et ce n’est pas sans débats et querelles que l’on aboutit, grâce à Étienne Souriau (1892-1979) (La Correspondance des arts, éléments d’esthétique comparée, 1969), à la classification que l’on admet actuellement. Elle reste cependant toujours discutée et mouvante, notamment en raison des opportunités offertes par l’essor des technologies numériques. Notons que cette classification n’a qu’un but encyclopédique et ne constitue en aucun cas une échelle de valeurs entre les différentes formes d’art.
Certaines formes d’art, pourtant reconnues, sont absentes : la performance artistique, l’art culinaire, la parfumerie, le tatouage, le cinéma documentaire, l’art des jardins… L’instabilité des formes de classification montre bien la difficulté de définir le phénomène artistique. Il y a donc fort à parier que cet arrangement, insatisfaisant, connaîtra de nouvelles évolutions.
Enfin, si l’on souhaite réellement établir une définition de l’art, il faut déjà se garder d’y introduire la question du Beau. Toute tentative sera nécessairement insatisfaisante, mais fournira, a minima, une base de discussion.
Plions-nous donc à l’exercice : l’art peut se définir comme une production matérielle ou immatérielle, n’ayant pas de fonction pratique, s’adressant d’abord à nos sens, nos émotions et à nos esprits, dans le but de nous interroger sur notre perception et notre appréhension du monde matériel et spirituel.
2. Histoire DE l’art
Qu’est-ce que c’est ?
L’Histoire de l’art a pour ambition d’étudier la production artistique à travers les âges. Elle s’intéresse notamment à l’influence du contexte (culturel, spirituel, anthropologique, idéologique, politique, économique, social, mais aussi environnemental) sur la production artistique et son esthétique. Elle étudie également les conditions de l’innovation artistique et sa portée sur l’évolution des modes de pensée et d’action d’une société. Le champ d’étude de l’Histoire de l’art se concentre essentiellement sur la production matérielle : dessin, estampe, peinture, sculpture, arts somptuaires et décoratifs, architecture.
En France tout au moins, c’est une discipline exclusivement universitaire.
À quoi ça sert ?
Même si les deux cursus sont dissociés dans les universités françaises, l’Histoire de l’art est intimement liée à l’Histoire en tant que discipline. Les recherches de l’une alimentent et nourrissent celles de l’autre.
Il est par exemple impossible de décrire ou de comprendre le tableau d’Antoine-Jean Gros ci-dessus, sans savoir qui est Napoléon, ce qu’est la Bataille d’Eylau et qui en sont les protagonistes.
Inversement, les historiens de l’art ont montré que Jan van Eyck (1390-1441) a été le premier peintre à utiliser la technique de la peinture à l’huile. L’un des premiers historiens de l’art, Giorgio Vasari (1511-1574), lui en a même attribué la paternité, suivi ensuite par de nombreux historiens de l’art. Toutefois, ce n’est qu’au XXe siècle que les historiens de l’art ont pu déterminer que la peinture à l’huile existait déjà au XIe siècle, puisque le moine Theophilus Presbyter (c. 1070-1125) en fait déjà mention dans son manuscrit Schedula diversarum artium (Traité des divers arts). Cette découverte a donc remis en question les connaissances de l’Histoire des techniques.
Le nombre d’or, utilisé en peinture, est une notion mathématique issue de travaux d’Euclide et Pythagore. L’architecture fait appel aux connaissances de la physique concernant les propriétés des matières, la répartition des forces ou encore l’utilisation du rayon X. La peinture et la photographie utilisent des composés ou des réactions chimiques. Nous pourrions tout aussi bien invoquer la biologie, les techniques, la philosophie, la littérature, la géographie, la théologie… L’histoire de l’art implique donc de très nombreux champs scientifiques, qu’il s’agisse de sciences humaines ou exactes. Elle est ainsi transversale, ce qui explique la complexité à définir ses limites.
L’histoire de l’art nourrit également un pan entier de l’économie mondiale. Selon l’INSEE1, les dépenses culturelles des français en 2022 s’élèvent à 35,46 milliards d’euros. Il faut y ajouter les revenus générés par les touristes étrangers, 63,5 Milliards d’euros la même année. Pour sa part, à l’échelle mondiale, le marché de l’art a généré 16,56 milliards de dollars2, toujours en 2022. Aujourd’hui, il existe des économistes spécialisés dans le domaine de l’art.
L’art a également une fonction sociale : donner à réfléchir et interroger nos sociétés. L’histoire de l’art apporte donc un éclairage sur la relation entre l’état d’une société et l’art qu’elle produit.
L’apparition des transis, à la fin du XIVe siècle, évince celle des gisants. Cette rupture dans la sculpture à but funéraire est liée au traumatisme de la Grande Peste qui, en seulement 6 ans (1347-1352) a fait 25 millions de morts, uniquement en Europe. Ce symbole fort d’une société épouvantée par une mort rapide et qui, alors, ne peut s’expliquer que par une punition divine, disparaîtra au XVIe siècle. Cependant, la représentation sculpturale des morts ne reviendra pas au gisant. Elle produira l’orant, figuration d’une société européenne repentante, qui en appelle à Dieu pour son salut.
L’Histoire de l’art permet ainsi de comprendre les œuvres. Le fruit de ses recherches sert de base à la médiation dans les musées et monuments. Nous permettant de décrypter les signes et symboles utilisés, elle nous incite à garder l’esprit ouvert grâce aux visions variées d’une réalité. Elle stimule la créativité en inspirant de nouvelles générations d’artistes. Enfin, elle permet la déconstruction de clichés.
Parmi ceux-ci, on trouve par exemple l’idée répandue que l’Islam interdit la représentation de la figure humaine. C’est inexact. Si la représentation de la figure humaine est interdite dans le domaine religieux, elle ne l’est pas dans le domaine profane. La meilleure preuve en est le Shâhnâmeh (Livre des Rois), qui, à l’aide de riches miniatures, relate l’histoire de l’Iran depuis la création du monde jusqu’à l’arrivée de l’Islam. Il existe de nombreux autres exemples, parmi lesquels des représentations érotiques.
3. Histoire DES arts
Qu’est-ce que c’est ?
L’histoire des arts est une discipline scolaire (enseignement primaire et secondaire) introduite par le gouvernement dans les programmes de l’Éducation Nationale en 2008. L’annexe du Bulletin officiel n° 32 du 28 août 2008, dans son préambule, définit la discipline ainsi :
”L’enseignement de l’histoire des arts est un enseignement de culture artistique partagée. Il concerne tous les élèves. Il est porté par tous les enseignants. Il convoque tous les arts.
Ministère de l'Éducation nationaleBulletin officiel n° 32 du 28 août 2008
Son objectif est de donner à chacun une conscience commune : celle d’appartenir à l’histoire des cultures et des civilisations, à l’histoire du monde.
Cette histoire du monde s’inscrit dans des traces indiscutables : les œuvres d’art de l’humanité. L’enseignement de l’histoire des arts est là pour en donner les clés, en révéler le sens, la beauté, la diversité et l’universalité.
L’étendue du champ d’étude va de la Préhistoire à nos jours.
Le pluriel employé, des arts, est justifié par un regroupement des formes d’art en 6 domaines distincts :
- Les « arts de l’espace » : architecture, urbanisme, arts des jardins, paysage aménagé, etc.
- Les « arts du langage » : littérature écrite et orale (roman, nouvelle, fable, légende, conte, mythe, poésie, théâtre, essai, etc.) ; inscriptions épigraphiques, calligraphies, typographies, etc.
- Les « arts du quotidien » : arts appliqués, design, métiers d’art ; arts populaires, etc.
- Les « arts du son » : musique vocale, musique instrumentale, musique de film et bruitage, technologies de création et de diffusion musicales, etc.
- Les « arts du spectacle vivant » : théâtre, musique, danse, mime, arts du cirque, arts de la rue, marionnettes, arts équestres, feux d’artifices, jeux d’eaux, etc.
- Les « arts du visuel » : Arts plastiques (architecture, peinture, sculpture, dessin et arts graphiques, photographie, etc.) ; illustration, bande dessinée, cinéma, audiovisuel, vidéo, montages photographiques, dessins animés, et autres images ; Arts numériques. Pocket films. Jeux vidéo, etc.
Pourquoi créer une nouvelle classification alors que l’on aurait pu utiliser celle qui fait, temporairement, consensus ? D’autant qu’elle est insatisfaisante, puisqu’elle fait figurer plusieurs formes d’art simultanément dans plusieurs catégories.
À quoi ça sert ?
Le bulletin officiel définit ainsi les objectifs de cet enseignement :
”“ L’enseignement de l’histoire des arts a pour objectifs : d’offrir à tous les élèves, de tous âges, des situations de rencontres, sensibles et réfléchies, avec des œuvres relevant de différents domaines artistiques, de différentes époques et civilisations ; de les amener à se construire une culture personnelle à valeur universelle fondée sur des œuvres de référence ; de leur permettre d’accéder progressivement au rang d’ « amateurs éclairés », maniant de façon pertinente un premier vocabulaire sensible et technique, maîtrisant des repères essentiels dans le temps et l’espace et appréciant le plaisir que procure la rencontre avec l’’art ; de les aider à franchir spontanément les portes d’un musée, d’une galerie, d’une salle de concert, d’un cinéma d’art et d’essais, d’un théâtre, d’un opéra, et de tout autre lieu de conservation, de création et de diffusion du patrimoine artistique ; de donner des éléments d’information sur les métiers liés aux domaines des arts et de la culture.”
Ministère de l'Éducation nationaleBulletin officiel n° 32 du 28 août 2008
Par ces objectifs, l’État manifeste ses ambitions. Les trois premiers points répondent au dessein de doter les futurs citoyens d’une culture générale commune, à l’aide des références partagées, favorisant le vivre ensemble. La confrontation à la diversité des cultures et formes d’art doit conduire à la curiosité et l’ouverture d’esprit. Les élèves acquièrent ainsi un socle commun de culture générale à l’aide de repères géographiques et temporels avec un vocabulaire partagé par tous.
L’éveil de la curiosité doit susciter l’envie de découvrir des lieux culturels. Cette idée est d’en soutenir la fréquentation. Cependant, les élèves de 6 à 15 ans n’ont pas toujours les moyens d’être force de proposition dans leurs familles. De plus, l’absence d’implication des parents d’élèves dans la discipline ne facilite pas l’accès à la culture. Enfin, cette ambition reste un vœu pieu vis à vis des élèves (et de leurs parents) vivant dans des zones rurales éloignées d’équipements culturels.
La dernière ambition est de susciter les vocations dans l’optique de l’emploi. Comme dans tous les secteurs, la France doit faire face, à moyen terme, au besoin de renouvèlement des acteurs du secteur. Et les métiers nécessitant des connaissances en Histoire de l’art sont nombreux et de tous niveaux de diplômes.
Notes
- ↑ INSEE : Données extraites du rapport de l’INSEE sur les dépenses culturelles et de loisirs, paru le 25/03/2024.
- ↑ 16,56 Milliards de dollars : source : journal Les Échos, 14 mars 2023.