Les SWIMs, acronyme de « See With-In Me », de Jerome Btesh attirent immédiatement le regard. D’une finition irréprochable, ils évoquent ces panneaux d’affichage séduisant l’œil par leur design industriel, mais aussi ces publicités glamours d’aspect très « glossy ». L’artiste ne laisse rien au hasard. Il fait polir ses caissons par un spécialiste. Ils deviennent alors des écrins pour ses photographies. Celles-ci font également l’objet d’un travail très soigné. Tirées sur Duratrans, elles sont ensuite placées sous vide d’air, afin de les protéger au maximum des attaques du temps. L’assemblage est méticuleux et finalisé par le rétro-éclairage réalisé avec un néon longue durée. Mais ce travail minutieux n’est que l’aboutissement d’un long processus créatif préalable.
1. Transformer le matériel industriel en œuvre d’art
Le parcours de Jerome Btesh
Jerome Btesh a fait son apprentissage au Centre Européen de Recherche et de Formation aux Arts Verriers.
Artiste autodidacte, il débute son travail de sculpteur au « 59 Rivoli ». Ce squat d’artistes, alors autogéré, était situé en plein cœur de Paris, dans un immeuble haussmannien. Initialement propriété du Crédit Lyonnais, il a été laissé à l’abandon après la faillite de la banque. Il permettait l’émulation entre artistes et la mutualisation de moyens. Chacun y avait son atelier ouvert au public qui en a vite fait un lieu couru, jusqu’à une décision de justice. Lassé des troubles qu’une potentielle expulsion ont engendrée, il s’installe alors à Montreuil où il travaille toujours.
Des sculptures post-industrielles
Il s’inscrit volontairement dans un univers post-industriel, utilisant des matériaux et techniques progressivement délaissés.
L’artiste est avant tout sculpteur. Les SWIMs sont un prolongement de son processus créatif plastique. Celui-ci débute avec des casses d’imprimerie, aujourd’hui totalement obsolètes puisque détrônées par l’édition numérique. Il leur donne une nouvelle destinée en composant des aphorismes.
2. Un message de l’autre côté du miroir
La spécificité des casses d’imprimerie est que les caractères ne font sens qu’une fois assemblés, puis encrés et enfin pressés contre un support. Les lettres doivent donc tourner le dos au lecteur pour se dévoiler. C’est là qu’intervient tout le talent de l’artiste. Il scénographie ses maximes, en suspension dans un assemblage de tôle, œilletons de verre, miroir, photographie.
Jerome Btesh nous incite ainsi à nous approcher au plus près de ses créations pour découvrir ses formules, uniquement lisibles par le truchement d’un petit miroir, comme s’il souhaitait nous les souffler doucement à l’oreille. Comme un message caché, précieux, peut-être simplement susurré.
Ce phénomène instaure une relation entre l’artiste et le spectateur, une connivence. Qui émet le message ? L’artiste qui nous le propose ou le spectateur qui le lit par le jeu subtil du miroir ? Et surtout, à qui s’adresse ce petit mot que nous ne manquons pas de prononcer lors de sa découverte : à l’œuvre, à l’artiste, au spectateur ? La question se pose d’autant plus qu’un miroir est censé refléter celui qui y plonge son regard.
Les aphorismes, presque toujours en anglais, ont des tournures positives : « Love me but fuck me » ou inversement « Fuck me but love me », « Under perpetual construction », « Love is a constant UN-achievement, I do my best », « I’m so sexy »… Ils incitent à une réflexion, nous renvoient à nous-mêmes comme le miroir nous renvoie notre reflet. L’artiste nous invite à nous questionner ainsi qu’à l’interroger sur notre rapport à l’amour, au sexe, à la société, donc sur notre rapport à l’autre. Il établit ainsi un échange artiste-spectateur.
3. Des photographies au design industriel
Sublimer l’aphorisme
Le problème est que ces sculptures sont des pièces uniques. Une fois l’œuvre acquise, le message ne se découvrira plus qu’à son propriétaire et éventuellement quelques proches.
Depuis 2009, Jerome Btesh a donc décidé de faire de ses sculptures des matrices. Elles deviennent un sujet photographique, se focalisant avant tout sur le message. La sculpture photographiée donne naissance à une nouvelle œuvre. Chacune d’elle s’incarnant dans des caissons de tailles trois tailles différentes et devient une œuvre à part entière, comme un enfant acquiert son autonomie une fois sorti de la matrice maternelle.
C’est aussi une manière de nous polariser sur l’essence de l’œuvre. L’artiste crée ainsi un rapport encore plus intime avec le spectateur, la maxime étant épurée du dispositif initial.
Dans les matrices les lettres sont de taille modeste, nous en retenons donc surtout le sens. Grâce aux photographies, nous avons l’opportunité d’apprécier le travail opéré sur les casses d’imprimerie. Dans le cas de « I’m so sexy », l’angle de prise de vue, habilement choisi, permet d’occulter la présence du miroir. Il est pourtant bien présent puisque le message reste lisible.
L’engagement du spectateur
Chaque lettre se détache de sa gangue métallique à la faveur d’un travail de peinture. La couleur choisie, un rouge sombre, contraste avec le fond noir. Le rouge, couleur organique, de la passion aussi, renforce le caractère sensuel du message. Sensualité elle-même renforcée par celle du caisson poli.
Les SWIMs prolongent les sculptures de l’artiste, sans en être une copie ni une redite. Ils sont même une invitation de l’artiste à réflexion supplémentaire sur ses aphorismes. En effet, suivant la manière dont on choisit de lire « SWIM », l’approche sera différente : « See With-In Me » se traduira par « Vois avec moi », tandis que « See WithIn Me » sera « Vois en moi ». L’artiste n’impose pas. Il met à notre disposition de multiples possibilités de lecture et d’interprétations, que nous pouvons explorer à notre guise.
Chaque fois que nous plongeons notre regard sur l’œuvre, nous n’y voyons jamais la même chose, suivant notre état d’esprit et notre sensibilité du moment. Cette faculté n’est pas donnée à tous les artistes, elle fait de Jerome Btesh un artiste à retenir. A suivre aussi, car il est maintenant présent dans des collections privées réparties dans une vingtaine de pays différents.