Il ne s’agit pas, dans cet article, de déterminer ce qu’est une œuvre d’art au sens esthétique, sa symbolique ou encore son rôle social. Ce sujet est aussi vaste que complexe. Il est plutôt question de définir les caractéristiques qui font d’un artefact une œuvre d’art. C’est également l’opportunité de poser un cadre et donc le périmètre de ce blog.
Je n’évoquerai que rarement les arts scéniques ou circassiens, la littérature et le cinéma. Amateur mais pas spécialiste de ces sujets, il est préférable de laisser à des personnes plus compétentes le soin d’aborder ces thématiques. En revanche, je pourrai évoquer certaines formes d’art récentes, aux périmètres et définitions encore en construction comme l’art vidéo, numérique ou sonore ou encore la performance et les installations.
Design, estampe, peinture et photographie ou encore sculpture, toute la production artistique n’est pas reconnue en tant que telle. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est le droit fiscal qui définit ce qu’est une œuvre d’art. Il y a cependant une certaine logique, dans la mesure où l’établissement d’un cadre est nécessaire, tant les implications juridiques (fiscales, commerciales, patrimoniales, …) sont nombreuses.
1. Une œuvre d’art porte avant tout la trace de la main de l’artiste
Quel que soit le type d’œuvre, le paragraphe II de l’article 98A (Annexe 3 du Code Général des Impôts) met systématiquement en avant l’intervention de l’artiste. « Entièrement exécuté à la main » est l’expression que scande chaque alinéa. Notre législation garde encore l’empreinte du sens médiéval de l’art, un ensemble de gestes précis au service d’une pratique maîtrisée, proche de l’artisanat où la main et le geste technique sont fondamentaux.
Œuvres graphiques
Les dessins, peintures et collages doivent être entièrement réalisés à la main et par l’artiste. Cela exclut donc les dessins techniques (plans d’architecture, dessins industriels ou topographiques), mais aussi des objets peints à la main, les décors de théâtre, les fonds d’ateliers.
Concernant les estampes au sens large, elles peuvent être tirées en noir et blanc ou en couleur. Les planches doivent être entièrement conçues par la main de l’artiste. Les procédés sont nombreux : chalcographie, lithographie, xylographie, linogravure, sérigraphie, mais les techniques mécaniques (héliogravure et offset par exemple) ou photomécaniques sont exclues (la photocopie couleur par exemple).
Œuvres plastiques
Les possibilités étant très larges, la loi définit des critères pour chaque technique.
Les sculptures sont entièrement réalisées par l’artiste, mais il n’y a pas de contrainte concernant le matériau utilisé. La loi exclut cependant les objets de bijouterie comme de joaillerie, qui relèvent des métiers d’art ou de l’artisanat.
Les céramiques sont également exécutées et signées par l’artiste, tout comme les émaux sur cuivre.
Les tapisseries et textiles muraux sont fabriqués à la main, sur la base d’un carton original fourni par l’artiste.
Les fontes de sculptures, quant à elles, sont produites sous le contrôle de l’artiste ou de ses héritiers. Cela semble logique, dans la mesure où les métiers de fonderie sont très techniques et potentiellement en dehors des connaissances de l’artiste.
Œuvres photographiques
La photographie a un statut un peu particulier. Ce n’est pas une technique plastique, car elle est en deux dimensions et ne fait pas appel à des matériaux modelables. Ce n’est pas non plus une œuvre graphique dans la mesure où elle ne fait pas appel aux connaissances techniques du dessin, de la peinture ou de l’estampe.
Prises par l’artiste, elles sont également tirées par lui ou sous son contrôle. Tout comme les fontes de sculpture, un photographe ne maîtrise pas nécessairement toutes les techniques de tirages, qui sont fort nombreux. Il peut faire appel à un professionnel afin d’obtenir le résultat qu’il souhaite privilégier. Les tirages doivent impérativement être signés par l’artiste.
2. Un œuvre d’art existe en nombre limité
C’est la seconde caractéristique d’une œuvre d’art. C’est logique ! Le législateur insiste sur l’investissement de l’artiste dans le processus de production. La limitation du nombre d’exemplaires prévient une confusion avec une production artisanale ou même industrielle.
Aussi, la loi indique des critères quantitatifs pour chacun des modes d’expression déjà évoqués.
Des œuvres uniques…
Les peintures, dessins et collages sont par définition uniques. Ces artefacts étant réalisés à la main, ils ne peuvent se trouver qu’en un seul exemplaire. En effet, si l’artiste essayait de reproduire son travail, il y aurait forcément des différences, plus ou moins visibles, en raison du geste ou de la touche, qui n’est jamais complètement identique. Des artistes ont peint plusieurs fois le même sujet, parfois la même scène. Mais leurs différences font que nous sommes alors en face de plusieurs œuvres.
Il en est de même pour la sculpture, pour les mêmes raisons. C’est évident pour les réalisations taillées ou gravées. Ça l’est moins pour les créations moulées. La fonte de métaux peut cependant présenter des résultats suivant la température, la patine ou l’interaction chimique entre l’air et le métal en fusion.
La règle vaut également pour les céramiques. La logique est similaire : une céramique étant réalisée manuellement, elle sera nécessairement unique. Son modelé, la répartition des pigments colorés et leur rendu, la température et le mode de cuisson donneront des résultats toujours différents. Dans le cas contraire, on serait face à un processus industriel : une céramique moulée n’est pas une œuvre d’art. La porcelaine, nécessairement moulée, n’en est donc pas. Elle s’apparente plus à un objet d’art ou de deisgn.
… ou en nombre très limité
Les estampes doivent être tirées en nombre limité. Il faut noter que la loi ne donne pas plus de précision. Cela laisse la liberté aux artistes de choisir la quantité éditée. Ils peuvent même choisir de ne pas numéroter leurs éditions. Mais s’ils le font, le numéro attribué à l’œuvre devra indiquer aussi la quantité totale éditée. On peut ainsi trouver des estampes :
- signées dans la planche : l’impression intégrera la signature de l’artiste ; les éditions peuvent ensuite être numérotées manuellement ;
- signées manuellement : l’artiste appose sa signature après l’impression, généralement au bas de l’œuvre ;
- non signées.
Pour les œuvres plastiques, le chiffre clé est 8.
C’est le nombre maximum autorisé pour que les fontes de sculptures conservent le statut d’œuvre d’art. Au-delà, elles prennent le statut d’objet d’art ou design. Toutefois on tolère les épreuves d’artiste, dans la limite de 4 exemplaires, numérotées pour leur part en chiffres romains et précédées de la mention « EA », afin de les différencier. Ces épreuves sont considérées comme des essais permettant d’affiner les dosages de matière, d’ajuster les températures. Épreuves d’artistes comme fontes doivent toutes porter la signature de l’artiste, qui matérialise le contrôle du travail du fondeur.
Les mêmes règles (8 + IV au maximum) s’appliquent aux émaux, tapisseries et tissus muraux.
Toujours à part, la photographie peut être tirée à un maximum de 30 exemplaires, chacun impérativement numéroté et signé par l’artiste. Toutefois, on rencontre parfois des tirages portant la mention « EA », avec une numérotation en chiffres romains. Ces derniers sont également considérés comme des essais en vue d’un bon à tirer : dimension, durée du bain pour les tirages argentiques, rendu en fonction du papier choisi.
3. Et les autres arts ?
L’article 98A du Code Général des Impôts est restrictif et se concentre sur les artefacts sans fonction utilitaire, produits manuellement par un individu, éventuellement aidé de techniciens dans des phases spécifiques. Mais il ne fait aucune mention des autres formes d’art.
Objets d’art et d’artisanat
Les œuvres d’art sollicitent nos sens, nos émotions, nous interrogent, mais n’ont pas de fonction utilitaire. A contrario, les autres artefacts, soit les productions matérielles de l’humanité, en ont une, même si ce sont des pièces uniques.
On distinguera d’abord les objets d’art. Leur fabrication nécessite des compétences techniques aussi anciennes qu’exceptionnelles. Elle fait souvent appel à des matériaux rares et précieux. Ses acteurs repoussent toujours plus loin les limites techniques par une constante recherche esthétique. Les pièces produites sont souvent uniques ou réalisées en exemplaires très limités : ébénisterie, joaillerie, horlogerie, facture d’instrument, cristallerie, haute couture.
Pour schématiser, les objets artisanaux constituent un déclinaison des objets d’art. Ils font appel à des techniques similaires, mais plus mécanisées. Les matériaux utilisés sont moins précieux et plus accessibles. D’autre part, les processus de fabrication sont organisés de manière à produire de petites séries : menuiserie, bijouterie, verrerie, céramique, porcelaine …
On peut également citer les arts dits populaires. Ce sont des techniques artisanales praticables par le plus grand nombre en vue de créer des objets esthétiques pour le quotidien : broderie, tissage, vannerie, peinture sur tissu …
Et le design ? C’est avant tout une discipline visant à améliorer l’ergonomie et l’esthétique d’objets usuels. Mais dans une optique industrielle. Le terme est donc suspect d’un certain mercantilisme.
Les arts de l’espace
Les arts dits « de l’espace » sont une catégorie artificielle récente, regroupant l’architecture, l’urbanisme et les arts paysagers (aménagement du paysage, jardin). L’urbanisme et l’aménagement du paysage me semblent plus liés à des préoccupations politiques (comprendre : qui intéresse la vie de la cité).
L’architecture et le jardin sont bien des arts, mais plutôt au sens grec de technique. Ce sont en effet des pratiques nécessitant des connaissances techniques spécifiques : mathématiques et physique pour l’architecture, horticulture et botanique pour le jardin. Néanmoins, architectes et paysagistes mettent leurs compétences au service d’une recherche esthétique. Par ailleurs, des artistes plasticiens ont des pratiques créant des ponts avec ces deux formes d’art.